Thème : « Consolider la démocratie et promouvoir l’État de droit en RD Congo »
Jour 1 : Instabilité politique (Visible en vidéo sur YouTube)
Les journées sociales 2021 du CEPAS ont amené les participants à réfléchir autour du thème de la consolidation de la démocratie et de la promotion de l’état de droit en RD Congo. Pour ce faire, il a été examiné tour à tour quatre aspects du problème : le politique, le juridique, l’économique et le sécuritaire. Trois panels étaient prévus, en raison d’un par jour et de deux conférences croisées pour chaque panel. La plupart des participants aux journées de cette année provenaient des structures de la société civile partenaires du CEPAS.
C’est à 9h45 que la cérémonie d’ouverture a commencé, après que la Ministre de la justice, invitée spécialement pour assister au lancement de la « Coalition Transparence RDC », s’est finalement excusée de ne pas pouvoir être présente, en raison d’un empêchement de dernière minute. Après la prière d’ouverture et les discours du Recteur de l’ULC (P. Ferdinand Muhigirwa) et du Directeur du CEPAS (P. Alain Nzadi), il a été procédé au lancement symbolique de la « Coalition Transparence RDC », une structure née des réflexions des journées sociales de 2019 consacrées à la redevabilité des pouvoirs publics. En effet, les organisations de la société civile congolaise, les mouvements citoyens et les citoyens, ont convenu de former une coalition dénommée « TRANSPARENCE RDC » en vue de renforcer leur engagement au service du bien-être de la population congolaise et de fédérer leurs efforts pour défendre, ensemble, dans une perspective de développement durable, d’égalité, de solidarité et de redevabilité citoyenne, l’avenir de notre cher et beau pays, le Congo.
Quels sont les objectifs de cette coalition ?
- Collecter et publier toute information en lien avec la gestion de la chose publique censée être connue par l’ensemble de la population ;
- Mettre en œuvre des initiatives citoyennes visant à contraindre, dans le respect des lois de la république, les mandataires publics à une plus grande redevabilité et citoyenneté ;
- Conduire des plaidoyers et des lobbyings pour l’amélioration, lorsque nécessaire, de la législation en matière de transparence, de participation citoyenne et de redevabilité ;
- Contribuer au renforcement des capacités des institutions qui ont en charge les questions de transparence et de redevabilité.
Après ce lancement de la coalition et les échanges avec la presse qui ont eu lieu pendant la pause-café, les travaux des journées sociales 2021 ont commencé, sous la modération du Docteur Alain N’kisi, avec l’aspect politique qu’ont examiné tour à tour le Docteur Toussaint Kafarhire et le Chef de travaux Christian Moleka.
Prenant la parole en premier, Toussaint Kafarhire s’est interrogé d’emblée : l’instabilité politique chronique en RD Congo, comment y mettre fin ? Au-delà du fait que l’instabilité dans notre pays a plusieurs visages, il est important, a-t-il renchéri, que les Congolais reconquièrent le contrôle du discours sur le Congo et cessent de sous-traiter leurs problèmes par d’autres. C’est seulement en revendiquant notre souveraineté nationale comme État, comme nation, qu’il sera possible de résorber les crises récurrentes et multiformes qui assaillent le pays depuis plusieurs décennies. Aucun autre pays ne peut résoudre durablement nos propres problèmes à notre place. Enfin, une souveraineté ainsi acquise permettra également d’asseoir une identité nationale et de débarrasser le pays d’une politique de sous-traitance qui a montré ses limites.
Christian Moleka, quant à lui, a décortiqué la désagrégation de l’ancienne coalition au pouvoir en RD Congo, FCC-CACH, pour voir si l’Union Sacrée actuelle (nouvelle coalition au pouvoir) est une panacée et un gage de stabilité pour les prochaines années. Après avoir analysé la manière dont la nouvelle majorité s’est formée, le panéliste a estimé que celle-ci porte déjà les germes d’une instabilité future. A l’en croire, une majorité ne peut être solide que lorsqu’il y a en son sein un noyau numériquement consistant qui mène la barque et facilite les consensus des autres parties. Or, la majorité actuelle souffre de l’absence d’un tel noyau, le parti présidentiel (UDPS), n’ayant que 38 députés sur les 350 que compte l’Union sacrée. Il se dégage donc que le Président de la République dispose d’une marge de manœuvre assez limitée pour impulser le changement, à moins de se montrer très conciliant. Pour terminer, le panéliste a suggéré que la nouvelle majorité (particulièrement le parti présidentiel) développe une intelligence des risques pour éviter d’embraser la nation par des prises de position va-t-en-guerre, notamment en travaillant pour offrir au pays une élection fondatrice d’une stabilité plus durable en 2023.
Après les échanges constructifs entre les panélistes et les participants, cette première journée s’est poursuivie avec des discussions en ateliers de réflexion et s’est clôturée par une mise en commun des résultats.
Jour 2 : Etat de Droit (Visible en vidéo sur YouTube)
Le deuxième jour des journées a été consacré au panel juridique, sous la modération de madame Adined Omokoko.
En ouverture du panel, la Professeure Angélique Sita s’est attelée à analyser le système judiciaire congolais, en lien avec l’état de droit et la stabilité politique. Quel serait le meilleur système judiciaire (cf. Art 149 de la Constitution) ? s’est interrogée la panéliste. Elle a estimé que le meilleur système judiciaire est celui qui garantit l’état de droit et la stabilité politique. Les critères ci-après doivent en constituer le soubassement : qualité (compétence), indépendance des magistrats, efficacité, équité, efficience, respect des délais et transparence des procédures. En outre, ce système judiciaire doit s’inculturer dans les réalités congolaises, pour ne pas tomber dans le piège d’importation d’un système qui serait en déphasage avec le contexte sociopolitique et culturel congolais. Enfin, la panéliste a rappelé le rôle que la société civile est appelée à jouer. Celle-ci doit être au centre des étapes essentielles de l’élaboration des lois et de leur mise en œuvre, pour être en mesure de dénoncer les dérapages et les travers éventuels.
Le Professeur Pascal Mukonde, deuxième panéliste du jour, a enchaîné en analysant les défis de l’application de la constitution au regard des dernières crises constitutionnelles en RD Congo. Après avoir rappelé la définition traditionnelle de la constitution, il a proposé trois fonctions que celle-ci est appelée à jouer dans une nation : répartir les pouvoirs, assurer une compétition loyale entre diverses forces politiques et protéger les droits essentiels des citoyens. Cependant, étant donné que tout est juridiquement virtuel dans une constitution, celle-ci est souvent sujette aux interprétations pour faire face à multiples problèmes qui surgissent. Dès lors, il est important que ces interprétations s’affranchissent des manipulations politiciennes. A ce propos, trois critères sont susceptibles de garantir une interprétation impartiale, à savoir (a) la lettre, l’esprit et la pratique, (b) le comportement et l’environnement et (c) la finalité sociale. Afin de mieux exercer leur tâche, les juges constitutionnels doivent se départir des intérêts partisans pour dire le droit dans l’intérêt supérieur de la nation.
Après les deux conférences, le débat avec les participants a tourné autour des interprétations tendancieuses de la constitution en RD Congo, de l’indépendance réelle des magistrats, du rôle de l’élite intellectuelle (particulièrement les juristes) et du rôle de la société civile. Ces échanges ont permis aux deux panélistes d’apporter des précisions supplémentaires sur l’une ou l’autre question.
Enfin, quatre questions de réflexion ont été proposées aux quatre ateliers pour faciliter leurs échanges :
(1) Quelles sont les différentes crises constitutionnelles qui menacent la consolidation de la démocratie et la stabilité politique ? Comment les organisations de la société civile peuvent-elles y réagir ?
(2) Quelles sont les actions à mener par nos organisations pour que le pouvoir judiciaire favorise la démocratie et la stabilité politique ?
(3) Quelles sont les lois à cibler et à observer (monitoring) et quelles actions faut-il mener pour que les prochaines élections soient équitables ?
(4) Qu’est-ce qui, dans l’environnement juridique actuel, pourrait mettre en péril les élections de 2023 ?
Après la mise en commun des résultats des échanges en ateliers de travail, la journée s’est achevée par un repas fraternel auquel étaient conviés tous les participants.
Jour 3 : Approche sécuritaire et économique
Ce dernier jour, sous la modération du père Benoît Mbuyi, a été consacré à la problématique sécuritaire et économique, avec les conférences du Docteur Rigobert Minani (aspect sécuritaire) et du Professeur Daniel Mukoko Samba (aspect économique).
Le premier panéliste, Rigobert Minani, a eu la tâche de décrypter les crises sécuritaires et leurs rapports à la gouvernance en RD Congo. Prenant le contre-pied des théories habituelles qui focalisent la crise sécuritaire dans la partie Est du pays, il a commencé par évoquer deux crises ayant eu lieu au centre et à l’ouest du pays : Kasaï (avec le Kamwena Nsapu) et Yumbi (dans le Mayi-Ndombe). Ces deux crises ont la particularité d’avoir été déclenchées à partir des faits apparemment anodins de conflits coutumiers, avant d’endeuiller des dizaines de familles et d’embraser toute une contrée. Partant de ces deux crises que les autorités politiques avaient apparemment sous-estimées au moment de leur gestation, Rigobert Minani s’est appuyé sur la théorie de Johan Galtung pour développer sa réflexion. En effet, celui-ci affirme : « La violence et les conflits ne sont pas dangereux quand ils éclatent. Dans une situation de déséquilibre social ou d’instabilité politique, un fait banal peut dégénérer en atrocités, car la violence latente prépare la violence personnelle/individuelle. Elle est là le jour, l’heure, la minute, la seconde bien avant que les premières bombes ne commencent à tomber, que les premières balles ne commencent à siffler, bien avant que les machettes ne sortent et que les coups de poing ne se donnent. »
Il est donc important, a souligné le conférencier, que la gouvernance politique s’attaque aux conflits latents pendant qu’ils sont encore dans une phase embryonnaire pour que les atrocités qui se vivent à l’Est du pays ne s’exportent pas dans d’autres provinces. Il est dangereux de « banaliser » les crises sécuritaires au moment de leur gestation. Chaque fois que l’on cafouille avec la situation politique, que l’on s’installe dans l’incertitude et que la vie sociale et politique s’enlisent, la violence, les conflits, la guerre ne sont jamais loin. Et l’espace occupé par la rue et la montée des médias sociaux nous préparent encore au pire. Les poches d’insécurités actuelles disséminées à travers tout le pays posent sérieusement le problème d’une gouvernance responsable, et capable d’anticiper sur les crises éventuelles.
Le deuxième panéliste du jour, Daniel Mukoko Saba, a discuté de la meilleure approche économique à adopter pour financer la démocratie, garantir la prospérité et consolider la sécurité et la stabilité. Il a commencé par un constat patent : la démocratie a un coût. Il n’y a qu’à considérer, par exemple, les chiffres des dernières élections dont les dépenses globales ont largement dépassé le milliard de dollars américains. L’on sait d’ailleurs que certains sautent sur ce constat pour faire l’impasse sur cet exercice qui semble pourtant vital à toute démocratie. Ainsi, la question que l’on peut se poser est simple : si les élections sont à considérer comme un investissement en démocratie, qu’en serait le « retour sur investissement » ? Mieux, les élections améliorent-elles les performances économiques ? A cette question, le panéliste a répondu par l’affirmative. Car, lorsqu’elles sont transparentes et offrent au pays des élus qui émanent réellement du peuple, les élections présentent plusieurs avantages qui ont des retombées économiques palpables : culture de la redevabilité des élus (ceux-ci feront tout pour favoriser les politiques publiques qui améliorent les conditions sociales de leurs électeurs), processus de sélection de meilleurs candidats à même de conduire les affaires de l’Etat (ce processus attirera les personnes qui valorisent plus le bien public, conséquence de la redevabilité), légitimité sociale susceptible de favoriser la paix sociale (ingrédient pour réaliser les réformes nécessaires dans la société et ainsi résister aux groupes d’intérêt), etc.
Cependant, dans un pays comme la RD Congo, dont la faiblesse de l’assiette fiscale constitue un grand handicap pour relever les différents défis, comment financer la démocratie, notamment à travers l’organisation régulière des élections ? s’est interrogé le conférencier. Pour réussir ce pari, plusieurs solutions sont envisageables, notamment :
- Élaguer du budget électoral des rubriques qui ne devraient pas dépendre de la CENI : sécurisation du processus électoral (plus de 120 000 policiers et agents de sécurité), aménagement des routes et ponts, prise en charge des télécommunications, installation de certaines structures (exemple : formation des magistrats, installations des juridictions), registre d’état civil (près de la moitié du budget du processus électoral congolais est consacré à la constitution du fichier électoral), etc.
- Création d’un compte d’affectation spéciale destiné à financer les élections.
Comme les deux jours précédents, les participants se sont regroupés dans quatre ateliers de travail pour approfondir le thème du jour et proposer des recommandations générales au terme des journées sociales.
Après la pause-déjeuner, les deux rapporteurs généraux ont lu le draft du rapport général des journées sociales, et le directeur du CEPAS a prononcé le discours de clôture des assises, avant de céder la parole à la Directrice de cabinet de la Ministre d’Etat en charge de la Justice, venue représenter la Ministre empêchée, pour procéder à la cérémonie de clôture des journées. Enfin, un cocktail de remerciement a rassemblé tous les participants dans le jardin du CEPAS.
Signalons que toutes les conférences seront publiées dans le numéro 556 (juin-juillet-août 2021) de la revue Congo-Afrique, organe d’expression du CEPAS.